La cambro del Capello (la chambre du chapelain)

                              

               Le 10 juillet 1944 à 6 heures du matin naissait Bernard dans la Cambro del Capello. Il était le 2ème garçon et le 6ème enfant de la famille Doulet qui habitait le Fort de Flaujac dans l'Aveyron. (Les Doulet s'étaient installés dans cette maison au début du 18ème Siécle).  Son prénom n'avait rien de familial. C'était celui que portait son parrain, affilié par alliance à la famille .

                D'ailleurs la famille Doulet n'avait pas grand chose à faire de ce second garçon. Elle avait dû en effet patienter plusieurs années, le temps de faire 4 filles pour enfin voir venir l'aîné, l'HERITIER, celui dont le destin ne faisait aucun doute pour ses pro géniteurs et ses ascendants. Il portait du reste le prénom du père.

                Bernard était un petit bébé de 2 kgs 9, né sans complications. La sage femme avait dû arriver deux ou trois heures auparavant en vélo ou dans sa petite voiture de l'époque. Le père ou bien la grand-mère avaient dû aider à préparer bassines, linges et autres. Comme ses aînés, son premier cri retentit dans cette chambre del Capello, dont les murs restaient imprégnés de la mémoire d'une Histoire qui s'était mal terminée ou peut-être qui n'avait pas encore trouvé sa fin.

                C'était la plus belle pièce de la maison. Les parents Doulet en avaient fait leur chambre conjugale et nuptiale. A peu près une fois par an, la mère y accouchait de leur progéniture. Quelques heures auparavant, elle stoppait le travail des champs et venait s'allonger ici sur le lit conjugal. Le père, alerté, faisait appeler la sage femme, qui habitait la ville d'Espalion à 3 km de là. Les enfants aînés étaient distraits ailleurs. La sage-femme ne tardait pas à franchir le seuil. Pendant le travail d'accouchement, la grand-mère paternelle et sans doute le père s'affairaient à assister la sage-femme. Ainsi naquit Bernard, tout comme ses 5 sœurs et frère aînés, ainsi que les 3 autres qui allaient venir après lui.

                Ce lieu où se préparait la descendance familiale, le relais des générations, contenait pour les Doulet quelque chose de sacré. Il dissimulait en effet les trésors d'une personne honteusement et prématurément disparue. Cette mort inacceptable avait fini par faire de cette chambre le lieu de la naissance.

                Pas la peine de vous précipiter pour aller chercher ce trésor, vous y seriez pour votre peine. En effet c'était ce type de trésor qui, à l'instar du Saint Graal, se trouve ailleurs que dans la matière qui le nomme et le désigne : c'était un trésor symbolique.

                Cette chambre, La Cambro del Capello, avait été l'abri, le refuge de l'abbé Jean-Antoine DOULET pendant la Révolution française. Son corps disparu,... ses écrits, ses livres, ses sermons et même sa pierre de messe (bénie) étaient restés entreposés là dans une fenêtre intérieure du mur, bien rangés. Personne n'y touchait, de même que l'on ne touche pas aux reliques, hormis les rats et les souris qui s'en nourrissaient de temps en temps, histoire de goût, du goût du sacré. On a tort de ne pas aimer les rats, ils sont présents à chaque page de notre histoire humaine.

                Ce 10 juillet 1944, Bernard était loin de se douter à quel point la mort ou la non-mort de ce Jean -Antoine Doulet aller marquer singulièrement sa vie.

C'est vrai qu'en tant que second fils d'une famille de paysans pauvres, il n'avait guère sa place dans l'entreprise familiale. Pour çà, un seul héritier y suffisait. Et celui-ci était déjà là, bien campé sur ses petites jambes d'un garçonnet de 3 ans. Grâce à lui, l'entreprise survivrait.

                Le petit Bernard ne serait jamais qu'un petit Bernard, un héritier sans héritage. Or, le voilà à 60 ans propriétaire de la Cambro del Capello. Oh! il avait l'impression d'en avoir hérité bien avant. En effet, les parents, une fois terminée leur saison de reproduction, décidèrent d'aller faire leur nid dans la chambre de la grand-mère paternelle, décédée quelques heures après la naissance du neuvième et dernier de leurs enfants, et non sans s'être assurée que le bébé était bien né et se portait bien. Une mort tranquille.

                La Cambro del Capello libérée, Bernard, qui avait 14 ans, commença à y installer - sur décision de qui? -  ses livres de collégien et plus tard ses livres d'étudiant en médecine, qui vinrent, de ce fait, côtoyer les livres de feu Abbé Jean-Antoine Doulet. Il prit lui-même place dans le lit à deux couches, le lit nuptial de ses parents. Il aurait pu devenir prêtre et ainsi, d'une certaine façon, faire renaître, quelque deux cent ans plus tard,  Jean-Antoine dont le deuil n'avait jamais pu être fait réellement. En effet, vers 6 ou 7 ans apparurent chez lui les symptômes d'une vocation précoce. Il se sentait appelé et voulait devenir prêtre. Il se sentait parfois habité par le Christ et il ne doutait pas d'être prédestiné à devenir pape, le représentant du Christ sur terre. D 'où lui venait un tel désir? Ses parents, certes, n'avaient rien contre. C'était un bon ticket d'entrée pour les royaumes d'en haut et un métier honorable ici-bas. De toute façon, il n'y avait pas de place pour lui dans la ferme. Mais tout de même, il en faisait un peu trop jusqu'à prier dans son lit tous les soirs et de surplus à faire prier sa soeur de 3 ans sa puinée, jusqu'à ce que se fasse entendre la voix du père ou de la mère:"Vous avez assez prié, dormez maintenant".

                Il aura fallu les dures épreuves du petit séminaire pour décourager sa jeune vocation. C'est avec un sentiment de culpabilité, voire de trahison, cependant, qu'il abandonna cette perspective, même si sincèrement sa vocation n'était plus là. D'où lui venait donc de tels sentiments résistants à toute épreuve? Même la décision qu'il prit de devenir médecin, de pratiquer ce métier qu'il imaginait comme un don de soi aux autres, n'arrivait pas à en venir à bout. Quelques années de psychanalyse l'aidèrent à se démarquer des démons et des fantômes du passé. Il se fit psychiatre, sans doute une sorte de compromis. Il est vrai que la psychiatrie est née pendant la révolution française: un prêtre est mort, un psychiatre est né.

                Bernard a donc 60 ans, il est marié, père de famille, mais il a encore du mal à assumer totalement cet héritage que lui ont légué ses parents avec le consentement tacite de tous ses frères et sœurs: la vieille maison du Fort de Flaujac, dans laquelle se trouve la fameuse Cambro del Capello. Il n'y dort plus depuis bien longtemps. Il est allé se nicher avec sa femme sous la voûte la plus pourrie de la maison: une sorte de tunnel bouché avec pour ouverture une toute petite fenêtre à l'un de ses bouts. En somme une sorte d'utérus ou de tombeau.

                Il a souvent pensé à cet abbé Jean-Antoine Doulet, né en 1755 dans cette même maison du Fort de Flaujac, ordonné prêtre en 1786, déporté sur l'île d'Oléron   et décédé le 3 novembre 1799 à peine deux mois après son arrivée sur l'île. Voici ce qu'en dit l'abbé Albert Ginisty dans son livre consacré au village de Flaujac, paru aux Editions SUBERVIE à Rodez en 1962. L'abbé Ginisty avait été curé de Flaujac :

                "Jean-Antoine Doulet était né à Flaujac en 1755. Il était le fils de Jean DOULET et d'Anne MALARET. Il fut ordonné prêtre  en 1786 et devint vicaire de Coubisou. En 1792, il passait pour avoir prêté le serment à la Constitution civile du clergé. Aussi fut-il élu le 25 novembre 1792 curé de Prades d'Aubrac, dans l'Eglise de St Geniez d'Olt. Il fit effectivement un peu de ministère à Prades d'Aubrac en 1793. En 1794, il signait une déclaration assez vague, qui ne l'engageait à rien. A la suite d'une perquisition au presbytère de Prades, les gendarmes d'Espalion l'arrêtèrent sur le chemin du retour. En face de Flaujac, il tenta de s'échapper en traversant le Lot. Il fut repris et conduit à Rodez. En réalité, les serments prêtés à Estaing n'étaient pas signés.

                    L'abbé Doulet était en prison avec le curé de Coubisou, François Arribat. A la suite d'une visite de deux habitants de Coubisou, le curé put s'échapper. Doulet, qui était dur d'oreille, ne comprit pas le mot d'ordre et resta en prison. Condamné à la déportation en 1799, il arriva sur l'île d'Oléron le 5 septembre et y mourut le 3 novembre."

 

Le 10/07/2006                    Bernard entre dans sa soixante troisième année. Il fête ses 62 ans. Dieu qu'il est loin son premier cri ( de libération ou d'épouvante?) dont l'écho s'est perdu dans les murs épais de la Cambro del Capello. Ils en restent les témoins muets.

                En ce moment il boude sa vieille maison du fort, reçue en héritage. Il est en effet très en colère contre les entrepreneurs auxquels il a confié la restauration des lieux et qui ne tiennent pas parole dans l'avancement des travaux.

                Bernard est-il destiné à quitter ce monde en laissant en chantier ce qui est plus qu'un monument: un lieu d'histoire?

NB: A méditer cette phrase de Saint-Exupéry: "Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants"

Le 8 juillet 2018

 

Bernard est toujours là. Dans deux jours il aura 74 ans. Ça fait 12 ans qu’il a déposé la plume pour mieux la reprendre aujourd’hui.

Je suis à Antibes, calfeutré à  l'intérieur de ma maison car dehors il fait très chaud en pleine après midi. J’aurais pu aller à la plage qui est à deux pas mais je n’ai pas envie de rejoindre la foule des touristes et l’excitation bien naturelle des baigneurs. Alors j’ai décidé d'écrire, allongé sur le canapé en train de pianoter l’alphabet ''azerty’’ sur ma tablette Medion.

Je pense à ma maison natale de Flaujac. Elle a bien changé. Les artisans ont fait leur œuvre du sol jusqu'à la toiture. Dans le respect des directives du patrimoine. Cela s’impose et a  un coût que la vente de la maison ne couvrirait pas. Ce qui m’y a décidé, c’est l’idée que mes enfants, qui aiment bien y aller pourraient la conserver après mon décès et puis… si mes parents pouvaient voir leur maison maintenant ils seraient contents. Au fond j’ai été loyal : mes parents m’en ont fait donation de leur vivant en pensant que (je cite) ''Bernard, qui est médecin, aura assez d’argent pour la réparer’’. Chose faite. Un patrimoine est quelque chose qui s’entretient et se transmet de génération en génération. Au début je ne voulais pas y toucher. Je voulais garder tel quel ce trésor de souvenirs. La maison inhabitée était devenue le débarras de toute la fratrie. À présent la voilà marquée de ma griffe pour le meilleur et pour le pire. Qui en jugera?

Je remercie les Recoussine,  Guiral, Paudrat, Vieilledent et tant d’autres.

Le petit Bernard est à la retraite depuis plusieurs années. Heureux au départ d'être comme en vacances, il a déchanté ensuite, il éprouvait un manque :  où étaient passés ses patients, son équipe du CMP?... Il y était attaché plus qu’il ne l’aurait cru et voulu. Quelle vie pouvait il avoir maintenant ?. Il continuait à faire des expertises mais ce travail somme toute très technique ne suffisait pas à apaiser son manque qui flirtait avec le vide de sa nouvelle existence. Et même la fréquentation assidue de sa loge franc maçonne n’y changeait rien. Devenu rigoureusement athée, il ne supportait plus  les références au G.L.A.D.U.. Il a demandé de se mettre ''en sommeil''. Et devant l'étonnement et la sollicitation de ses frères , il a répondu qu’il voulait avoir du temps pour se préparer à mourir.

Il n’est pas mort, je suis toujours là comme je l’ai dit et je n’ai pas envie de mourir. L'âme humaine, si je puis me permettre ce mot, est bien faite. Elle se répare d’elle même, elle renaît de ses cendres comme le phénix et pointe à nouveau l’horizon de son dard acéré, gonflé de désir. Je suis sûr qu'il en est ainsi jusqu’au dernier souffle.

  74 ans dans deux jours !!! Mon grand père paternel ainsi que mon père sont morts à 78 ans. Vais je pousser la loyauté jusque là. Et mon rendez vous des dix, douze ans, alors !!??

On ne plaisante pas avec ces choses là ? Certains pensent que ça porte malheur comme passer sous une échelle, le chiffre 13,... Je ne vais pas citer tout le dictionnaire!!!  Au fait savez vous, mais oui vous le savez, que J.C est mort à l’ âge de 33 ans et qu’il est à la droite de son père. Ça va sans dire. C’est bien connu, la droite c’est la place du mort !!! (Elle n’est  pas de moi mais d’un humoriste bien connu qui a passé l’arme ''à gauche’’.)

Voici une photo de ma ''nouvelle’’ maison, c’est fini le moyen âge depuis longtemps , même pour ceux qui regrettent le temps des rois :



 

Chirac, Sarkozy, Hollande, et maintenant Macron. Il s’est passé tout ce temps depuis que j’avais déposé ma plume

Qu'ai je  donc fait ? Après ce passage à vide la vie m’a repris, comme une envie de pisser par exemple. Je me suis mis à lire, pas de psychiatrie, philosophie et histoire de préférence, spiritualité également, hors toute religion bien sûr. On associe généralement les deux. C’est un tort. La spiritualité est tout à fait compatible avec l'athéisme voire le matérialisme. Je me suis inscrit à un atelier de peinture aquarelle (qui est une technique plus difficile qu’on ne croit), à des cours de hatha yoga et tout cela me convient très bien. J’ai retrouvé en moi des racines que j’avais sûrement négligées jusque là.

C’est important de s’ancrer à sa nature propre, d’apprendre à mieux se connaître dans son corps, ses pensées, ses émotions. Si on ne se connait pas, comment se faire confiance, comment maîtriser le défilé incessant de ses pensées et émotions pas toutes joyeuses ?. Il est important de se prendre en charge. Personne ne le fera pour nous. C’est le préalable de toute action. Certains se jettent à corps perdu dans des activités effrénées sans réelle confiance en eux-mêmes. C’est comme se jeter à  l'eau sans savoir nager. S'écouter pour mieux se connaître, se détendre, respirer, être attentif à soi, à son souffle (étymologiquement anima, esprit).

Voilà tout un programme à mettre incessamment en pratique. Être présent à soi même et au monde dans l’ici et maintenant.

Le passé n’est plus et le futur est à venir. Comme disait Héraclite six siècles avant J.C : ‘’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve’’. Hé oui, l’eau à changé et moi même aussi. Rien n’est vraiment permanent sauf le changement, qu’il vaut mieux accepter sous peine de troubles mentaux. Ainsi sommes nous faits. Le rêve, c’est bien à condition de ne pas perdre pied. Avis aux amateurs des paradis artificiels.

  Et la "Combro del capello" ? Elle aussi a subi un rajeunissement pour un meilleur confort. Elle reste sans doute la chambre la plus agréable et habitable de la maison. Son hôte, l'abbé Doulet jean-Antoine, mort en déportation sur l'île d'Oléron en 1799, a été balayé par l'histoire. Bernard ne se sent plus et ce depuis longtemps, devoir en incarner sa mémoire. Mort et enterré, siégeant à la droite du Père ? Qui sait ...!!! Ses livres et écrits n'ont pas regagné la Cambre del Capello. Ils restent remisés sous une voûte de la maison.

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À bientôt.


 

 


 

 

 

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