Naître, exister, connaître (co-être)

 

Naître , au sens empirique du terme , c’est venir au monde. A noter que , dans le langage, en tout cas de langue française, seul le petit d’homme naît. Dans le monde animal, la femelle met bas.

Chez l’homme, la naissance est liée à la notion de sujet. Celui-ci est « jeté » (Heidegger) dans un monde déjà là avec ses strates culturelles, transmises au petit d’homme à travers des expressions verbales et non verbales par ses proches , mère, famille,  société d’appartenance.

Cette transmission n’est pas une simple information. C’est par le désir, coexistant au manque lié à sa prématurité, « désir du désir de l’Autre » (LACAN) que le petit d’homme accède à la culture dans une relation d’Amour. En effet, hors de cette relation affective, sensuelle et d’amour, ainsi que le pédiatre René Spitz l’a observé, à savoir que les bébés qui ne recevaient durant les premiers mois de leur vie que des soins mécaniques de survie, ne s’éveillaient pas à autrui, ils ne parlaient pas, ne tentaient pas de communiquer, ce que Spitz a appelé l’hospitalisme..

Jeté dans ce monde déjà là, nourri de pédagogie au sens de «  l’action de développer les facultés morales, physiques et intellectuelles de l’enfant »., le petit d’homme accède à l’existence (ex-sistence= se situer au dehors), au monde des « étant », figures culturelles au moyen desquelles l’être de l’étant prend forme à ses yeux et aux yeux de ses proches.  

Habitant le monde et habité par lui, il est appelé à tracer le chemin de sa vie, à travailler la pierre brute.

Cependant, à travers la figuration qui est la sienne dans ce théâtre de l’ex-istence, daté et situé, l’être de tous les étants d’être, s’il est muet, n’en est pas moins agissant. Au cœur de ce figurant, de ce locataire(terre), habitant de la terre, se situe l’être, de même que l’invisible loge au cœur du visible (Merleau-Ponty).

Dans l’instant présent de l’existence du sujet, dans l’aujourd’hui, loge le passé et le devenir, pur appel de la Vie qui ici ne saurait être confondue à l’existence. Je suis, je vis en étant dans le monde.

Une condition est nécessaire pour que le sujet garde toute sa liberté, ne s’aliène pas aux figures de l’étant transmises par la pédagogie : cette condition est l’écart entre la vie qui anime l’existant et ses expressions culturelles et langagières. Le sujet vivant se situe à l’interface, entre la culture qui le situe comme sujet et l’être qui le situe comme advenant traversé par la vie dont le sens lui échappe.. 

C’est la fonction des pédagogues de transmettre cette présence de l’indicible dans le dicible,  ainsi que semble vouloir le signifier Jean Le Baptiste parlant de Jésus dans cette expression hautement symbolique : « Il faut que je m’efface pour qu’il grandisse ». Le Christ lui-même est un symbole (au-delà de son existence datée et située) :  « Je suis la vie, la vérité, le chemin», dit-il selon les évangiles et il a rappelé à ses congénères que « nul n’entrera dans le Royaume s’il ne naît à nouveau ». Cette naissance nouvelle, de même que sa mort et sa résurrection symboliques, c’est l’accession au divin, à la spiritualité, à la con-naissance ( naissance avec) au « co-être », si vous me permettez de m’exprimer ainsi, c’est l’invitation de Socrate au « Connais-toi toi-même ».

Naissance avec, oui mais avec qui, quoi ? Connais toi toi-même, pourquoi cette redondance, « toi toi-même » ? Je dirai que la connaissance est le fait d’une expérience indicible. Elle se confond avec le mouvement même de la Vie, avec le cœur de l’existence. Je peux rendre compte de l’existence, mais pas de la vie, laquelle pour chacun de nous, commence avec la conception et se termine à notre mort. Dans l’espace-temps d’une vie se déroule une ex-istence. C’est pourquoi la vie est au cœur de l’existence. Elle est et je suis, et tout au long de mon existence, la Vie en est le fertilisant, la substantielle moelle. L’aliénation serait la confusion entre la vie et l’existence, voire la forclusion de la vie au seul profit de l’existence.

 

Bernard DOULET