Très chers frères :. et Vénérable Maître :.
Je vais tenter de tisser un propos sur ce qui me
paraît faire lien entre nous, frères francs-maçons.
Les
frères d’une même famille sont issus du même père et de la même mère. Ils
sont liés par un lien de consanguinité. Il n’en est pas de même pour les
frères francs-maçons. Quel est le type de lien qui unit ces derniers entre
eux ?
Sans
nul doute, il est possible d’en distinguer plusieurs. Alors la question
qui se pose à nous est celle de savoir s’il est possible d’en
isoler un qui leur soit spécifique.
A
un niveau profane, on peut reconnaître aux francs-maçons un lien de
fraternité historique liée à la genèse de la franc-maçonnerie, au partage de
valeurs communes (ceci, disons, est de l’ordre de
l’idéologie) ; plus prosaïquement les liens peuvent être le partage
d’intérêts communs, parfois purement alimentaires (« mais l’homme ne vit pas seulement de pain »
-Evangile).
Je ne peux pas passer sous silence la fraternité
qui, à côté de l’égalité et de la liberté sont
les trois valeurs emblématiques de
A
un niveau rituel , les francs-maçons pratiquent et
participent au même rituel symbolique, dont la chaîne d’union, de même
que la houppe dentelée, symbolise précisément la fraternité. A noter que la
notion d’égrégore,
habituellement associée à la chaîne d’union et qui fait de celle-ci une
sorte de communion spirituelle nous conduit tout naturellement à aborder le
niveau spirituel de la fraternité maçonnique.
Au niveau spirituel qui transcende,
si je puis dire, ce qui est de l’ordre du compréhensible par le savoir,
nous parlerons également de fraternité. Chaque franc-maçon se donne pour
objectif de bâtir son Temple intérieur en travaillant
« la pierre brute », afin de participer au projet
sublime de devenir chacun un élément indispensable à la construction du Grand
temple maçonnique, le temple de Salomon. Je ne m’attarderai que sur ce
niveau là, car c’est le seul, à mon sens, qui fait de la maçonnerie autre
chose qu’une communauté profane , tel un parti
politique ou religieux, un club d’amis (sportif, boulistes,
automobilistes, etc), ou encore une corporation de
métier. Il est intéressant toutefois de remarquer que
Est-ce à
dire qu’il ne nous reste plus qu’à nous remettre au Grand
Architecte de l’Univers et attendre passivement qu’il nous dicte ce
qu’il attend de nous pour construire ce fameux temple ?
Ceci
est peu probable. N’oublions pas en effet les trois voyages : cherchant,
persévérant, souffrant, dans lesquels s’engage l’apprenti FM.
N’oublions pas les âges symboliques
qui correspondent au niveau de mérite de chacun.
Nous voudrions
certes pouvoir nous fier à la dispensation d’un savoir, à
l’acquisition duquel correspondrait chaque degré d’avancement. Mais
là encore il faut bien reconnaître que le chemin de la vérité ne
s’accommode pas d’un savoir, tel un avoir. Rappelons nous la
parabole du jeune homme riche, auquel le Christ dit qu’il doit faire don
de tous ses biens, son avoir, pour accéder au Royaume des cieux ; ou
encore celle de cet homme de bonne
morale qui se voit interdit l’entrée du paradis, pour n’avoir
jamais prêté attention au mendiant Lazare qui se tenait devant sa porte.
Non,
construire son Temple Intérieur, se réaliser en maçonnerie, telle est en tout
cas ma pensée, ce n’est pas se faire des amis, des compagnons de route,
devenir apprenti puis compagnon puis maître, puis officier, etc., ce
n’est pas en tout cas seulement cela, qui n’est, en quelque sorte,
que la partie visible de l’iceberg.
.
Cela ne
suffit pas. Nous voyons dans ces figures des formes intelligibles mais, comme
l’a écrit Saint-Exupéry dans Le petit prince : « l’essentiel est
invisible aux yeux ». Nous ne voyons des choses du monde que les
bords. Le centre, le cœur des choses, reste opaque à la conscience. Tel un
volcan, la vie ne se manifeste à nous que par ses éruptions.
Ce n’est
donc pas sur les signes extérieurs, apparents, que va se révéler et opérer la
fraternité spirituelle.
La
fraternité spirituelle ne se compte pas, ne se mesure pas, ne se manifeste pas
en tant que telle (cft la rencontre entre Jésus et la samaritaine près du puits
de Jacob ), elle se vit au cœur même de la
relation, dans l’instant présent, au sens où le même Saint-Exupery
disait :
« l’homme,- à entendre l’humain -, est un noeud de relation. ».
Ainsi,
la fraternité au sens spirituel, tout comme la vérité n’est pas un dire
ou un signifiant mais un point nodal opaque à la conscience,
l’entrecroisement de pensées issues d’horizons différents . La
vérité surgit là où deux êtres en relation se rencontrent. Elle est, de
l’union, le trait (d’union) qui unit et sépare ; C’est
pourquoi elle ne saurait être énonciation, savoir, définition. Elle est Parole,
en ce sens que toute parole est tension vers et conjonction à un autre
différent, à un prochain susceptible de l’accueillir comme message qui
interfère sa propre trajectoire de vie et l’infléchit.
Ce
point d’intersection de deux trajectoires produit un effet de vérité. Il
est sans doute possible d’évoquer à ce sujet le symbole de la croix, symbole qu’on retrouve
dans beaucoup de traditions et dont le centre rend compte de
l’entrecroisement de deux lignes. Cela n’est pas sans évoquer
également cette parole du christ : « quand vous êtes deux ou trois à
prier en mon nom, (la prière
s’adresse à Dieu) je suis avec vous ». Le Christ
s’est énoncé lui-même comme étant la vérité, le chemin et la vie.
Ainsi
la vérité ne réside pas dans des objets de conscience mais surgit au cœur
de la relation, non comme savoir énonçable dans le discours mais comme
surgissement de l’Inconnu, le tiers qui fait lien entre êtres humains,
lesquels ont par ailleurs chacun leur cheminement.
Le
grand architecte de l’univers n’est pas l’être qui construit
ou conçoit le monde mais celui, symbolique, en qui et par qui s’entrecroisent le
cheminement des êtres de parole et à partir duquel les hommes, les « parlêtres » (J . LACAN) ancrent et bâtissent leur
Uni-vers. Il est la fondation de l’œuvre
collective qui permet la rencontre, le moment insaisissable de vérité, le lieu
de relations d’où s’origine l’histoire partagée des hommes,
l’instant de la conception du germe à partir duquel le monde du
compréhensible s’épanouit jusqu'à son apogée qu’est
l’accomplissement du temple Universel, autrement dit, de la fraternité
humaine, au delà des différences individuelles, d’éducation, de classes
sociales et de culture. Cela s’appelle l’Amour, celui qui ne
connaît pas de frontières.
J’ai dit, V :. M :.
Bernard
DOULET :. Le 22 01 2000