Les naufragés de l'Identité

 

Il m'est personnellement difficile de parler d'identité, ce mot si galvaudé. Je préfèrerais parler de sécurité ontologique, d'ancrage du sujet dans l'être.

Qu’est-ce que l’être ?. « Dis-moi d’où tu viens, je te dirai qui tu es. »  répond l’adage populaire. L’être, le Soi, aurait donc un lieu d’origine. Or l’origine, personne ne peut se la représenter. L’idée d’une origine renvoie à celle d’une évolution et d’une fin, de la naissance à la mort.

Les sujets du Verbe  que nous sommes, les « parlêtres », pour plagier LACAN, sont pétris d’origine, label d’authenticité imprimé à même la chair : « Au début était le Verbe et le verbe s’est fait chair ».

Le moi, tel que Lacan en décrit la constitution dans son « stade du miroir », cette sorte d’anticipation imaginaire de l’unité de la personne, de son individualité, de son identité, n’est pas l’être issu de l’origine. Il est une figure imaginaire, un ersatz d’identité, miroir aux alouettes.

Pour aborder différemment les choses, je citerai St EXUPERY :  « L’homme -à entendre l’humain- est un nœud de relation ». Son lieu de naissance, son origine, c’est dans la relation qu’il est à concevoir. La relation serait donc originelle. Elle constituerait (produirait) l’Etre. Qui dit relation ne dit pas seulement commerce, échange, mais plutôt « être avec », expression chère à Jean OURY.

Ce qui ferait que j’ai conscience d’exister, d’être quelqu’un, conscience identitaire, tiendrait à ma capacité d’être en relation et aux traces vivantes déposées en moi des relations vécues. Il est des rencontres relationnelles plus ou moins prégnantes. Nos premières relations sont, sans doute, sinon vitales, pour le moins déterminantes dans la constitution de notre identité ( non de notre moi).

 Il y a aussi les moments de crise identitaire, ainsi à l’âge d’adolescence. C’est dans ces moments d’insécurité ontologique qu’il est vital, pour chacun de nous, de rencontrer l’autre, pour sauver l’être du naufrage qui serait de suppléer à l’identité, des identifications imaginaires, telles que les médias, les vedettariats de toute sorte, les machines à produire du capital nous en proposent à satiété tous les jours, et voilà notre petit d’homme déshabillé de l’être, un jour attifé  des oripeaux du rockeur ou du rappeur à la mode, un autre jour exhibant les insignes de tous les Mac Donalds du monde. Le look mondialiste et universaliste est une tentation permanente pour tous les déracinés de l’être. Cela n’a rien de dramatique chez la plus part des gens (je l’espère) pour lesquels cela ne fait partie que du théâtre habituel de la vie, scène sur laquelle chacun (ancré dans son identité d'être) joue son rôle diversifié selon qu’il est au travail, en famille ou en sortie mondaine.

La souffrance identitaire survient quand il y a ratage de l’ancrage identitaire « en l’origine » et que ce sont ces modèles imaginaires et volatiles qui en tiennent lieu.

Dans notre époque moderne la rumeur court que l’identité est menacée ou en souffrance. Pourquoi ? Pourquoi tant de naufragés de l’identité, en quête de modèles, faute, peut-être, de n’avoir pas été assez nourris dans leur enfance de mots d’elle  et de lui, ces mots que le bébé entend, non point dans leur seule signification formelle, mais dans  tout ce qui les entoure, le ton, la chaleur, l’amour, la relation !

Sans l’ancrage dans ces mots là, mots de relation, le sujet est condamné à tous les maux du monde, à l’errance dans la quête de modèles jetables, il est même tenu à en consommer un max dans son besoin d’apaiser sa soif d’être.

Les traditions, je veux parler des moments forts de l'histoire des hommes, que re-présentent les commémorations rituelles, en renouant les alliances, transmettent aux jeunes générations

pas seulement du savoir, mais de l'être. Malheureusement ces coutumes rituelles sont souvent détournées de leur but, récupérées par le commerce, les figurations formelles, les représentations, propres seulement à nourrir les imaginations. Elles perdent ainsi leur pouvoir de transmission. Par ailleurs, les rituels initiatiques associés aux étapes essentielles de la vie des individus et qui étaient des moments de relation intense, se perdent, ne  se pratiquent plus. ( L'initiation, nous retrouvons l'origine, le verbe).

Alors, que vont faire ces jeunes en souffrance d’identité, sinon s’inventer des situations parfois dramatiques : suicides, violences, enrôlements sectaires, bandes de « sauvageons » dans leur tentative de se donner une chance de rencontrer l’autre en vérité, un autre qui ne les cassera pas, ne les brisera pas, ne les enfermera pas, rencontre de laquelle le sujet ressortira à la fois le même, à la fois un autre. Malheureusement, trop souvent, ces appels maladroits ne font qu’ajouter à la souffrance identitaire une souffrance supplémentaire. La demande mal formulée, le mal dire ou le mal à dire (« Il n’est d’éthique que du bien dire » J. LACAN) appelle en réponse, non point « l’être avec » mais la leçon de morale, voire la matraque du gendarme ou les barreaux de la prison. Quelle interaction va-t-il rester au sujet ? l’identification imaginaire au bourreau ou à la victime ?

Et l’identité dans tout çà ? Elle reste dans l’œuf, sinon dans ses enveloppes, peut-être jetée une fois pour toutes avec le placenta !!

Il existe pourtant des îlots qui se forment ci et là comme pour sauver du naufrage ces chercheurs d’identité. C’est, par exemple, ces créateurs de paroles et de musiques aux franges du politiquement correct, tels groupes de rappeurs, ces déchirés vifs, héritiers ou  « contemporains » d’un François Villon, qui enfantent de leurs tripes un nouveau monde vivant, issu des ruines d’un passé mort qui ne leur parle plus et de ces masques, autrefois véhicules de liens relationnels, devenus muets, abrasés par une acculturation, une néo culture, celle du paraître et de l’avoir plus que celle de l’être hors toute articulation.

Alors, comme le phénix renaissant de ses cendres, la vie, à travers les identités communes et singulières de chacun,  continue à se perpétuer malgré tout, à travers ces rescapés du naufrage.

 

                                                                        Bernard DOULET,  le 20 02 2000

 

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